Nouvel-Age

La nébuleuse mystique-ésotérique

Bernard Blandre, historien,
fondateur de l’AEIMR, Association d’Etude et d’Information sur les Mouvements Religieux

Conférence donnée lors du colloque national du GEMPPI : « Quand la méditation et les croyances donnent prétexte à des dérives sectaires et thérapeutiques » le samedi 1er octobre 2016 à l’Espace Ethique Méditerranéen - Hôpital de La Timone - Marseille

Reproduit sur Info-Sectes avec autorisation de l'auteur.

Lorsqu’on étudie une religion, on envisage une structure institutionnelle hiérarchisée, un corpus dogmatique de croyances construit comme un ensemble auquel il faut croire dans sa globalité et des normes morales à respecter comme un code de lois (de « commandements », pour reprendre un terme biblique). Le fidèle est membre d’une seule Église, doit croire tout ce que le clergé lui dit de croire, et calque sa vie sur tous les commandements faute de quoi il est pécheur et de ce fait puni par la divinité.

Cette conception de la religion est occidentale, très fortement marquée par le judéo-christianisme.
Il a existé et existe encore dans diverses parties du monde d’autres formes de religiosités, d’autres mentalités. Ce sont des formes semblables de spiritualité qui se présentent en Occident comme des alternatives préférables au judéochristianisme, principalement à partir des années 1970. On a parlé de « mouvement du nouvel-âge » en référence à la croyance selon laquelle le cosmos et l’humanité qui en est une composante passent de l’ « ère des Poissons » (celle du christianisme) à l’ « ère du Verseau », en désignant ces périodes au moyen d’un vocabulaire emprunté à l’astrologie. On parle davantage maintenant de « nébuleuse mystique – ésotérique ».

Cette expression utilisée par la sociologue Françoise Champion s’explique ainsi :

« Nébuleuse » :
il n’existe pas une organisation unique structurée, mais une multitude de personnalités et de groupes pas très solidement organisés.
« Mystique » :
cet adjectif se réfère à la relation personnelle qu’entretient l’individu avec le monde spirituel dont il est finalement considéré comme un élément.
« Ésotérique » :
l’adjectif se rapporte à l’ésotérisme, un système de pensée selon lequel les connaissances doivent être ignorées des profanes mais réservées à des initiés.
Cette nébuleuse est complexe à étudier. Les sources d’informations sont très diffuses : de multiples livres, articles, sites et blogues sur Internet. Il est très difficile d’en synthétiser le contenu et une synthèse ne pourrait être qu’artificielle compte tenu de la grande diversité des croyances et pratiques proposées.
Il est difficile de bien connaître les maîtres à penser parce que souvent on ne dispose que ce qui est publié par eux-mêmes ou leurs partisans et que leurs biographies en font parfois des personnages de mythologie. Il est difficile de bien connaître les croyances et les pratiques parce qu’elles sont révélées lors de stages d’initiation auxquels le chercheur n’a pas participé à moins d’y consacrer beaucoup de temps et d’argent et de pratiquer la sociologie compréhensive, une méthode qui peut donner des informations mais que je refuse de mettre en œuvre. La difficulté s’accroît par l’usage d’un vocabulaire ésotérique, soit de néologismes fabriqués par les maîtres spirituels, soit des mots du vocabulaire courant dont le sens est transformé.

La résurgence d’une mentalité païenne

Un aspect commun à l’ensemble de la nébuleuse est le rejet du christianisme.

Certes, il est fait mention du Christ dans sa littérature. Mais il n’y est pas le Jésus sacrifié sur la croix pour sauver l’humanité des effets du péché d’Ève et Adam. Il est un maître spirituel parmi d’autres, un initiateur. De façon significative on utilise rarement le mot « chrétien » auquel on préfère le vocable « christique ». La Bible est mentionnée, mais on donne aux passages cités une signification symbolique et l’on va chercher d’autres références dans d’autres ouvrages. Les groupes ne veulent pas être qualifiés de « religieux » parce qu’ils disent refuser l’autorité d’une hiérarchie sacerdotale et d’adhérer à un système dogmatique unique et indivisible. En fait, la nébuleuse est une forme nouvelle d’une sorte de néo-paganisme. Il existe des groupes qui disent faire renaître les vieilles religions antérieures au christianisme et qui s’en approchent parfois au prix d’une érudition concernant ce qu’on en sait par les travaux des historiens, mais le plus souvent il s’agit moins de la résurgence des anciens cultes que de celle d’une réapparition de la mentalité païenne.

Cette mentalité se caractérise par une multitude de croyances et de pratiques dans lesquelles l’individu puise ce qu’il veut et néglige ce qui l’intéresse moins, si bien qu’on a pu parler de « supermarché du religieux ». C’est ainsi que fonctionnaient les païens de l’Antiquité qui accordaient leur dévotion à un dieu plus qu’à un autre tout en admettant l’existence des autres divinités auxquelles on pouvait bien rendre aussi un culte. Pour s’informer, on ne s’attache pas spécifiquement à un maître mais on pratique au contraire un nomadisme spirituel ; on va se faire initier ici et là, on multiplie les stages chez l’un et chez l’autre et on conserve ce qu’on a envie de conserver, et même on se bricole son propre système de pensée à partir d’éléments collectés pendant les stages. Et si l’on a du charisme, on diffuse ce nouveau système en devenant un nouveau maître qui recevra à son tour des nomades du spirituel.

Les personnes de cette mouvance sont rarement sans culture. Il s’agit au contraire de gens caractérisés par une soif de connaissance et décidées à faire des efforts pour en acquérir le plus possible. C’est probablement moins dans les vieilles croyances populaires qu’il faut rechercher les origines de cette mentalité que dans les mouvements intellectuels, les croyances populaires pouvant toutefois apporter des matériaux bruts à l’élaboration des systèmes.

L’humanisme de l’époque de la Renaissance semble avoir contribué à l’émergence de cette mentalité par sa volonté de retrouver les philosophies de l’Antiquité. Il a été finalement marginalisé au XVIème siècle au profit de la Réforme catholique mais la mentalité a perduré les siècles suivants et l’on a assisté au développement d’ordres rosicruciens, ordres ésotériques, ordres de francs-maçons s’appuyant sur une égyptomanie plus ou moins ignorante de l’Égypte telle que les hiéroglyphes nous la font connaître, associations néo-païennes voulant ressusciter plus ou moins authentiquement les pratiques du passé, néo-esséniens qui n’ont que le nom en commun avec les anciens moines de Qumrân. La Société théosophique fondée par Helena P. Blavatsky a orienté définitivement vers les spiritualités orientales et l’on est allé chercher des vérités et des pratiques en Inde ou au Tibet ; la répression exercée par le communisme chinois a amené en Occident de nombreux lamas qui ont implanté un bouddhisme tibétain plus ou moins édulcoré.
Une dissidente de la Société théosophique, Alice A. Bailey, est directement à l’origine de nombreux aspects du mouvement nouvel-âge. On cherche dans les vieux écrits de l’hermétisme, dans la Kabbale, dans les écrits du mystique Jacob Böhme et l’on trouve des justifications à l’écologisme chez les chamanes amérindiens. Et pour la connaissance de l’homme on puise dans les ouvrages de psychologie ou de parapsychologie avec un intérêt particulier pour Carl Gustav Jung, le fondateur de la psychologie analytique.

En bref : on se bricole des systèmes de pensée très divers qu’il est impossible de synthétiser mais dans lesquels on trouve souvent des éléments communs.

Les croyances proposées

Les auteurs de la nébuleuse mystique-ésotérique empruntent à l’ésotérisme la croyance à une « tradition primordiale » à laquelle on peut accéder au moyen de toutes les religions qui en seraient des dérivées. Ils ne reprennent pas le contenu complet des religions établies mais en empruntent les éléments auxquels ils veulent bien croire. La quête spirituelle consiste à se rapprocher le plus possible de cette tradition que les religions sont accusées d’avoir déformée et altérée – un argument pour justifier la sélection opérée parmi les croyances.

La nébuleuse rejette le monothéisme, et accuse les religions monothéistes d’intolérance. Comprendre sa conception de la divinité est difficile. Des maîtres se réfèrent à des dieux et des déesses en leur donnant des noms des anciennes mythologies gréco-romaine, celtique, nordique ou hindoue. Gaïa, la déesse Terre-Mère, est fréquemment invoquée mais elle a moins l’aspect d’une femme que celui de la Terre dans sa globalité selon une vision panthéiste. Souvent la divinité apparaît complètement informelle et s’apparente à une sorte d’énergie diffuse dans tout l’univers. La distinction entre la divinité et les êtres vivants, voire le monde minéral, n’existe pas réellement. La nature divine est partout et notamment dans les humains qui sont invités à en prendre conscience lors des stages et formations auxquels ils sont invités à participer.

Au moyen du channeling, inspiré du spiritisme ou du chamanisme, l’adepte entre en contact avec les entités spirituelles : les anges, les « entités du plan astral », la grande loge blanche, les divinités, ou encore les maîtres ascensionnés : ces derniers sont des humains qui, suite aux vies exemplaires menées dans leurs incarnations successives, ont pu revenir à leur source divine ; on cite pèle mêle l’ancienne déesse grecque Pallas Athéna, Marie- la mère de Jésus, Bouddha, ou Sananda qui s’est incarné en Jésus et Elisha. Le channeling permet aussi de communiquer avec les extraterrestres. Les rencontres peuvent être facilitées par la consommation de drogues.

Le holisme caractérise la conception mystique-ésotérique de l’Univers : elle conçoit l’ensemble des mondes minéral, vivant, spirituel et divin comme un tout indivisible dont chaque élément est solidaire des autres. Les formations proposées insistent fréquemment sur l’objectif d’un retour à l’Unité et à vivre en harmonie avec l’ensemble, et sur la nécessité d’acquérir une « conscience planétaire ». D’où fréquemment le végétarisme, en référence à l’hindouisme. D’où la contestation de la médecine occidentale accusée de ne traiter que l’organe malade alors qu’il faut soigner l’ensemble de l’être humain y compris dans sa dimension spirituelle.

L’être humain est un élément de ce Tout. La littérature mystique-ésotérique le présente comme un ensemble dans lequel la partie spirituelle, divine, est essentielle.

La conception de l’être humain est complexe dans la littérature mystique-ésotérique ; par exemple dans un texte posté sur Internet Céleste de Castelbajac, alias « Céleste Damania » développe une anthropologie complexe : il est question du « Moi supérieur », de la « Triade corps-âme-esprit », de trois corps d’incarnation sur terre et des corps éthériques et spirituels qui existent en plus du corps de chair. Il doit développer son potentiel et transformer sa conscience pour contribuer à la transition de l’âge des Poissons à l’âge du Verseau.

En effet, la littérature mystique-ésotérique développe une conception cyclique de l’histoire. Chaque cycle commence par un « âge d’or » puis la civilisation se dégrade jusqu’au début d’un nouvel âge d’or dans un nouveau cycle. S’inspirant de la cosmogonie hindoue et de l’astrologie, les auteurs mystiques-ésotériques écrivent que nous vivons dans la fin de l’ère des Poissons, celle du christianisme. Ils nomment notre époque le Kali Yuga, l’âge de Kali, l’âge du fer, qu’ils décrivent comme une époque de souffrance et de décadence, mais fort heureusement nous allons revenir à un âge d’or en entrant dans l’ère du Verseau. La transition peut être conçue comme instantanée ainsi que le pensaient ceux qui attendaient une « fin du monde » le 21 décembre 2012 mais le plus souvent on pense que le processus sera progressif et que l’homme initié y contribuera par la transformation de sa conscience qu’il devra accomplir sous la conduite des maîtres. Les maîtres ascensionnés guideront l’humanité vers cette transition, notamment Maitreya : ce personnage devant être le nouveau Bouddha a été introduit dans la nébuleuse mystique – ésotérique via la Société théosophique et Alice A. Bailey qui en a fait le messie attendu par toutes les religions. Le niveau de connaissances passera de l’ésotérisme (réservation à une élite d’initiés) à l’exotérisme (large diffusion dans la population).

L’être humain dans la nébuleuse mystique-ésotérique

J’écris dans le titre de ce paragraphe « l’être humain » plutôt que « l’homme » pour insister sur l’importance de la femme, très revalorisée par rapport à la place que lui accorde le judéo-christianisme. Beaucoup de maîtres à penser de la nébuleuse sont en effet des femmes.

Les maîtres

Les documents de communication qui présentent les maîtres à penser de la nébuleuse les montrent comme des personnalités extraordinaires ou des références auxquelles on ne peut qu’avoir recours en raison de leurs niveaux de connaissance. Ils œuvrent soit individuellement, soit en duos – généralement un homme et une femme qui se partagent le public en fonction des sexes auxquels ils s’adressent.

Ils peuvent tirer leur légitimité de leurs contacts avec le monde spirituel qui les instruit et les guide.

C’est le cas d’un Britannique qui se fait connaître sur Internet par le pseudonyme « Ananda » que lui aurait donné « Emmanuel » ; il raconte ainsi le début de sa mission : il voulait à quinze ans devenir champion de cyclisme lorsqu’il chuta en pleine vitesse et tomba sur la tête. Il dit s’être vu hors de son corps et avoir rencontré ses autres Soi passés et futurs ; il fut alors contacté par un groupe d’entités interdimensionnelles et intemporelles qui se font appeler Emmanuel. Cette entité spirituelle collective lui aurait ordonné de reprendre possession de son corps et de revenir chez lui à vélo. Il parcourut le trajet de 8 kilomètres en dormant et se réveilla devant sa porte. Il décida alors de ne plus aller à l’école, et dit recevoir les enseignements des Emmanuel, notamment de Sylvana [Déesse celte], d’Athéna [déesse grecque] et de Thot [Dieu égyptien]. Sous leur influence, il écrivit son premier livre Unity keys of Emmanuel.

C’est aussi le cas de Rosanna Narducci-Baux que j’ai présentée dans un article de 2009 et qui dit recevoir les consignes de Christ’Al Chaya pour suivre des formations : En 1975, à l’âge de trois ans, elle aurait vécu ses premières retrouvailles avec sa « famille stellaire », ce qu’elle a oublié avant de revoir la scène à l’âge de 16 ans. A 19 ans, elle était avec sa mère lorsqu’une pluie de cristal se serait matérialisée sous ses yeux. De 19 à 22 ans elle entama une démarche spirituelle et suivit un enseignement sur les états modifiés de conscience ; appliquant la méthode de Patrick Drouot, elle dit avoir revécu ses vies passées et contacté ses guides de lumière. A 20 ans elle eut son premier contact avec l’un d’eux, Christ’Al Chaya, qui l’utilisa comme son channel pour communiquer ses enseignements à l’humanité. Ă 27 ans et était maître de reiki lorsqu’elle commença à transmettre les premières transmissions orales de Christ’Al Chaya ; elle publia le livre Christ’Al Chaya aux éditions de Saint Jean. En 2003, Christ’Al Chaya lui demanda de suivre la formation « Ecoute ton corps » dispensée par Lise Bourbeau, et aussi de canaliser son enseignement par des séances de channeling en public ou lors de consultations privées. L’objectif était d’aider les personnes volontaires sur la voie de l’Ascension. En 2004, suivant une consigne de Christ’Al Chaya, Rosanna Baux emmena au Pérou un groupe sur le site du Macchu Picchu pour y effectuer un travail d’activation du « code 12.21 ». En 2007 elle publia L’Ascension, la voie vers l’immortalité aux éditions Profadis. L’ouvrage contient les enseignements de Christ’Al Chaya, transmis par channeling. Toujours selon les consignes de Christ’Al Chaya, Rosanna Baux entreprit en 2007 d’organiser des weekends de formation intitulés « comment bien se préparer à l’Ascension » Les maîtres peuvent aussi asseoir leur autorité sur les multiples initiations qu’ils disent avoir reçues et qu’ils sont disposés à transmettre à ceux qui suivent leurs formations. Prenons l’exemple des promoteurs d’un important projet à réaliser à Calvisson, dans le Languedoc : « École de vie et structure de bien-être ». Deux couples sont à l’origine du projet :

Jean-Luc Jeantieu : présenté comme formateur en reiki traditionnel, massage MRD (Mouvement Reiki Dynamic), spécialiste en anatomie énergétique, harmonisation énergétique, danse angélique, géométrie sacrée, accompagnement en fin de vie, accompagnement des processus de médiumnité, harmonisation des lieux de vie, harmonisation et guérison des mémoires de vies dites antérieures, supervision et aide à l’installation pour les professionnels du bien-être ou de la thérapie, médiation de couples et de groupes, groupes de paroles thématiques, et voyages initiatiques.

Antonella Derviso : consultante en psycho-symbolisme (référentiel de naissance, astrologie, psychosophie, numérologie et tarot), énergéticienne (harmonisation énergétique et reiki). Elle a été formée par Jean-Luc Jeantieu, son partenaire de vie. Jacques Rodi : thérapeute psychocorporel biodynamique. Céline Landre : thérapeute psychocorporelle diplômée de l’École de psychologie biodynamique, sexothérapeute. Elle a reçu une formation en sexocorporel de Jean-Yves Desjardins et en tantra avec Diane Bellego et Marisa Ortolan. Comme on peut le constater, les membres de cette équipe se réclament de multiples formations acquises dans tout un réseau. Autre exemple d’une cumularde de formations: celle qui se fait connaître par son nom d’ange : Brigitte Ahoia reçu lors d’un voyage en Egypte. Dans un document publié sur Internet en 2010 elle se présentait comme compétente en matière de soins énergétiques, kabbale, géométrie sacrée, élixirs floraux, traditions chrétienne, juive et musulmane, et lithothérapie. Elle écrit avoir été initiée à l’énergie féminine par les grand mères des Hurons et des Algonquins du Québec. Elle a organisé des voyages initiatiques en Égypte et animé des stages de développement personnel. Au printemps et en été 2010 elle a dirigé des stages dans les Pyrénées-Orientales ; thèmes : se soigner avec les cristaux ; danses et chants sacrés ; voyages intérieurs en conscience ; stage de fabrication de tambours. L’individu Celui qui suit les formations dispensées par les maîtres est appelé à prendre conscience de l’importance de son potentiel, de redécouvrir sa vraie nature : la nature divine. Il est invité à se purifier de ce qui l’empêche de progresser : à consommer une alimentation saine, à se débarrasser des souillures héritées de ses vies antérieures voire de celles de ses ancêtres. Il lui est proposé de renoncer à son ego pour finalement se fondre dans le grand Tout –c’est-à-dire, en fait, à renoncer à son individualité. Les maîtres qui axent leur formation sur la sexualité proposent de se libérer des tabous et des inhibitions. L’objectif est de vivre le bien-être dès le présent plutôt que dans le paradis futur du christianisme. La promesse de développer des pouvoirs exceptionnels donne à la nébuleuse mystique-ésotérique un aspect particulièrement attrayant qui justifie les efforts de ceux qui s’y engagent. A la différence du gnostique qui recherche la connaissance pour la connaissance, le chercheur de la nébuleuse veut trouver les moyens du jouir de la vie. Persuadé d’appartenir à une élite, l’adepte reçoit la mission de participer à la transition de l’humanité de l’âge des Poissons à celui du Verseau. Pour cela, il participe à des manifestations collectives. L’une des plus pratiquées est la récitation d’une prière, d’un mantram qu’Alice A. Bailey a transmise en 1937 à des « triangles ésotériques » : cette « Grande Invocation » se termine significativement par la phrase : « Que Lumière, Amour et puissance restaurent le Plan sur la Terre ». Céleste de Castelbajac « Damania » a pensé contribuer à soulager les souffrants en créant une chaîne de prières perpétuelles. Des événements exceptionnels donnent aux adeptes de la nébuleuse l’impression de pouvoir jouer un rôle important dans la solution des problèmes ; par exemple le 12 janvier 2010 Haïti fut secouée par un séisme catastrophique qui causa plus de 200 000 morts. Olivier Manitara, fondateur des néo-esséniens, donna une explication à la catastrophe : la Mère-Terre voulait essayer de se dégager d’un monde pour que quelque chose de nouveau apparaisse. Le séisme marquait un moment de passage difficile à vivre dans le plan physique ; c’était à la fois une naissance et une mort. Haïti portait en elle la mémoire de l’Atlantide. Elle conservait le souvenir des cataclysmes qui ont secoué l’ancienne civilisation des Atlantes. Cette mémoire se réveille : au fond de l’océan, près des Bermudes, existe un point central, un lieu de communication qui est comme une bouche par laquelle la Mère s’exprime – d’où les cataclysmes. Les Haïtiens devaient vivre avec leurs âmes, réorganiser leurs vies dans un village essénien pour mettre au monde la vie différente que recherche la Mère. Les esséniens dispersés dans le monde devaient soutenir leurs frères et sœurs de Haïti pour les aider à créer ce village et y vivre. O. Manitara engagea tous les esséniens à prendre en compte ceux de Haïti dans leurs méditations. Le 13 janvier un « cercle d’entraide de la ronde des Archanges » s’est mobilisé et un travail de soutien spirituel à distance s’est effectué au Québec et en France. Il s’agissait de concentrer les plus belles pensées pour les Haïtiens, leurs familles et leurs terres. Une mise en application d’une notion mystique-ésotérique : la puissance de la pensée. L’adepte qui participe à ce genre de manifestations collectives est ainsi valorisé par l’impression d’accomplir une œuvre de dimension cosmique pour le progrès de toute l’humanité. L’initiation L’initiation se donne dans des cadres divers : conférences, stages de durées diverses (d’un weekend à une semaine), séminaires, séries de stages qui s’échelonnent sur plusieurs mois et voyages initiatiques qui peuvent avoir des continents éloignés pour destination. Les enseignements portent sur la connaissance des croyances mais peut-être surtout multiplie-t-on les expérimentations. Ă titre d’exemple, citons des formations qu’avait proposées Patricia Martin en 2008-2013 : Elle se présentait comme psychothérapeute et alcoologue diplômée de la Faculté de médecine de Paris et membre professionnel de l’Institut Monroe. Intéressée par la symbolique, la mythologie et les archétypes, elle a fait des recherches en ethnologie et en anthropologie médicale. Elle se dit héritière de plusieurs générations de guérisseurs morvandiaux, et des traditions ancestrales du Morvan et du Berry. Dans le cadre d’une initiation au voyage chamanique, elle proposait aux participants d’explorer leur potentiel pour le voyage intérieur avec le procédé des sons Hemi-sync de l’Institut Monroe. Les objectifs étaient d’atteindre des états de conscience utilisés depuis des millénaires pour entrer dans une réalité non ordinaire, explorer l’univers des mythes et des symboles, acquérir des connaissances au-delà du système de pensée commun, répondre à des questions personnelles, contribuer à sa propre santé ainsi que développer l’intuition et la créativité. Un document non daté indique le prix : à partir de 200€ pour un weekend. En 2013 le programme était présenté comme « intensif ». La formation dispensée par Patricia Martin est à degrés : les personnes intéressées étaient invitées à une « session avancée ‘le cœur chamane’ » le dimanche 25 mai de 14 à 17h. Il est précisé dans le document de présentation que la voie du cœur est universelle et qu’on peut se référer aux nombreux savoirs et traditions du passé. Le cœur est un centre d’énergie qui permet de se connecter à la source par des pratiques d’ouverture du cœur ; cela permet de contacter l’expérience de l’Amour (bienveillance, compassion) pour enrichir la vie quotidienne et la quête spirituelle. Sont encore mentionnés : 7 - Des ateliers sur le chamanisme occidental féminin, intitulés « cercle de femmes sacrées » à Paris le samedi après-midi à un tarif à partir de 50€ - Un rite de passage de la nouvelle année à Vézelay (150€) Du 7 au 10 août 2008 Patricia Martin avait animé un stage résidentiel « chamanisme occidental. La Bretagne mystérieuse ». Il s’appuyait sur une ancienne croyance : le culte des esprits. Selon Patricia Martin les humains ne sont pas les seuls à posséder un esprit. Les forces de la Nature en sont aussi animées. Pour découvrir les légendes, les mythes et le travail imaginatif fondé sur les archétypes arthuriens, Patricia Martin proposait un stage dans les Côtes-d’Armor et le Finistère avec un programme incluant la visite de fontaines guérisseuses, de chapelles miraculeuses, de saints bienfaiteurs, d’arbres vénérables, de pierres levées et d’allées couvertes. Un culte des anciennes déesses était célébré. Ce que proposait Patricia Martin lors de ses stages était très diversifié, et la liste de ses offres est loin d’être limitative dans la nébuleuse. D’autres maîtres proposent aussi le rebirth (renaissance : des exercices de respiration modifiant les états de conscience afin de faire revivre la naissance et libérer l’individu du traumatisme subi au moment de l’accouchement), diverses sortes de yoga, l’omniprésente méditation, la sexualité tantrique, l’interprétation des cartes du ciel, la numérologie kabbaliste, le chant chamanique, la guérison holistique, et j’en passe… Il s’agit d’acquérir des connaissances, mais surtout d’expérimenter nombre de méthodes psychocorporelles visant à bénéficier du bien-être et de se transformer pour assumer pleinement la nature divine qui caractérise la réalité de l’individu. La participation aux stages ou aux voyages initiatiques est évidemment coûteuse. Il existe par ailleurs tout un commerce d’objets censés détenir des pouvoirs bénéfiques ; on voit beaucoup mentionner des pyramides et plus encore des cristaux. Il existe une véritable marchandisation du spirituel. Évidemment, les pratiques proposées ne sont pas sans danger. S’il faut éviter toute généralisation abusive de cas particuliers, force est de constater des faits regrettables. La dépréciation de la médecine et de la psychiatrie au profit de thérapies alternatives et de techniques parapsychologiques n’est pas sans effets : on ne peut pas sans risques affirmer que la guérison du cancer et du SIDA peut se produire uniquement grâce à la spiritualité, ni présenter comme foncièrement mauvais la vaccination et les médicaments. Plus d’une fois, des personnes sont mortes : C’est le cas de personnes ayant pratiqué le pranisme jusqu’à l’extrême : il s’agit d’une philosophie spiritualiste qui consiste à s’abstenir de manger et de boire et de ne se nourrir qu’en captant par la respiration l’énergie qui nous entoure, le prana. En 1997 l’allemand Timo Degen était si affaibli après 19 jours qu’il tomba et mourut d’une blessure à la tête. En juin 1998 l’australienne Lani Morris est morte des suites d’une chute survenue après une semaine de jeûne ; les deux personnes qui l’avaient incitée à s’engager dans le processus ont été condamnées à six et deux ans de prison. Le 4 septembre 1999 Verity Lynn est partie s’isoler loin de tout le monde au nord de l’Écosse ; on l’a trouvée morte, en partie déshabillée à une centaine de mètres de sa tente. Au Canada, une femme est morte dans une hutte de sudation et une autre a dû être hospitalisée: Le Centre (canadien) Reine de la Paix, situé à Durham Sud, est dirigé par Gabrielle Fréchette « Séréna ». Cette personne a suivi pendant huit mois en 2007 une formation en Bretagne donnée par un chaman- druide. Sa thérapie s’appuie sur le reiki, des massages et des traitements énergisants. Elle se dit porte-parole d’une entité spirituelle, le maître Melkisédech. L’une de ses clientes, Chantal Lavigne, suivait une formation en croissance personnelle depuis trois ans et avait fondé sa propre entreprise spécialisée dans les soins thérapeutiques. En juillet 2011 elle a participé avec 9 autres personnes à un séminaire « mourir en conscience » animé par Gabrielle Fréchette : il s’agissait de mourir aux états d’âme que l’on n’aime pas. Un enregistrement a permis d’entendre des paroles de G. Fréchette qui ont fait impression a posteriori : « L’heure est venue de mourir à ce corps que vous croyez être le vôtre … La mort est la liberté … La mort est la vérité ». Le programme comportait une expérience de hutte de sudation : elle consiste à s’enduire d’une mince couche de boue et de se couvrir d’un drap et d’un plastique ; la tête est recouverte d’une boîte de carton maintenant le drap ; cela peut durer jusque 18 heures. Chantal Lavigne, le 29 juillet 2011, est restée ainsi 5 heures et est morte d’hyperthermie. L’urgentiste qui a constaté le décès a déclaré qu’elle était morte cuite. Âgée de 35 ans, Chantal Lavigne laissait deux orphelins. Une autre participante a dû être hospitalisée. Le 29 janvier 2016 Gabrielle Fréchette a été condamnée à trois ans de prison et deux de ses assistants à deux ans. L’affaire est en appel.

Les cadres institutionnels

A la différence des Églises ou des sectes structurées, la nébuleuse mystique-ésotérique se caractérise souvent par des institutions très lâches si l’on excepte les groupes qui vivent en communautés. L’important est la relation entre l’adepte et le maître. Elle peut se passer de toute forme d’organisation mais souvent elle s’appuie sur une association à but non lucratif qui n’a guère d’autre but que donner un cadre officiel aux aspects matériels et financiers. Voici quelques exemples d’objets statutaires déclarés à des préfectures et sous-préfectures françaises :

Favoriser et contribuer à la construction et à la reconstruction de l’humain dans une démarche globale d’accompagnement socio-éducatif et spirituel adapté à ses problèmes et besoins.
Siège social : 25, rue Charles Tellier, 37300 Joué-lès-Tours.
(Association Cité de refuge, déclarée à la Préfecture d’Indre-et-Loire le 5 août 2016)

Faire découvrir la naturopathie par des conseils en alimentation, hygiène de vie, phytothérapie (plantes) , aromathérapie (huiles essentielles) , oligothérapie ; la pratique Ayurvédique par les massages, la diététique, les soins, le bien-être, la relaxation ; les thérapies brèves par la PNL (programmation neuro linguistique) , pour la gestion des émotions, stress, développement personnel , coaching ; conseiller sur les méthodes de santé naturelles afin de retrouver un bon équilibre ; organisation d’Ateliers, stages, formations, conférences auprès des particuliers, entreprises, associations.
Siège social : 120, rue des iris, 40300 Peyrehorade (Association O’Live natur, déclarée à la sous-préfecture de Dax le 22 août 2016)

Assurer des cultes polythéistes de la mythologie grecque ; de plus, elle doit vouer un culte aux dieux de la mythologie grecque ; de plus, le président peut-être un dieu auquel on voue un culte ; de plus, elle doit construire, rendre heureux, rendre immortel de dévot.
Siège social : 94, rue Ménilmontant, 75020 Paris.
(Association Constructivisme, déclarée à la Préfecture de police de Paris le 24 août 2016)

Des relations peuvent s’établir aussi, sur un plan horizontal, dans le cadre de cybergroupes : il s’agit de groupes de personnes reliées par Facebook qui échangent sur les expériences qu’elles ont vécues. Il existe aussi des entreprises de tourisme qui organisent des voyages vers des hauts lieux de la spiritualité, présentés comme chargés d’énergie et où l’on ressent plus qu’ailleurs des « vibrations ».

L’un des meilleurs exemples est Oasis Voyages –Expériences en Conscience, fondé en 2007 par Éric Grange : L’entreprise Oasis Voyages – Expériences en Conscience se présente sur Internet comme la seule organisation professionnelle organisatrice de voyages et de séjours devant apporter des bienfaits spirituels aux touristes qui lui font confiance. Son site Internet affiche les programmes des offres proposées, les conditions et les tarifs. Elle possède une licence officielle octroyée par la Préfecture du Rhône le 10 août 2007 et a pu recevoir des soutiens de personnalités des mondes de la politique, des médias, du show business et surtout de maîtres de la nébuleuse mystique-ésotérique qui contribuent à encadrer les séjours proposés aux touristes. Exemples de ce qui a été proposé dans le catalogue : En Égypte, Alain Crégut et Josie Petit ont dirigé une cérémonie en vue d’appeler et de diriger une descente d’énergie à l’intérieur de la grande pyramide de Cheops. A Philae, les voyageurs ont participé à un rituel d’Isis pour recevoir le lait saint permettant à l’Horus qui est en eux de se nourrir pour qu’ils puissent s’éveiller, augmenter leurs vibrations et grandir jusqu’à accueillir l’or cristallin qui s’incarnera en eux. Un voyage à Bali est dédié au processus de guérison. Les voyageurs participent à des consultations et à des rituels dans les temples. Les participants à un autre voyage dans la même île portaient des vêtements de cérémonie, confectionnaient une offrande pour présenter aux dieux les vœux lors de la purification de Tirta Empul (un lieu de culte des environs d’Ubud) lors de la grande cérémonie purnama. Le programme incluait un enseignement sur le symbolisme des onze sources sacrées, des prières, des mantras, des temps de méditation, une bénédiction du prêtre, une immersion, des invocations aux divinités, un pèlerinage aux onze sources, une connexion aux énergies universelles, et le partage et la délectation des offrandes (des fruits tropicaux). S’y ajoutaient l’apprentissage de la danse balinaise et du gamelan (un ensemble instrumental), la participation à la fête de Kuningan, le spectacle des danseurs de Kecak – un chœur d’une centaine d’hommes qui célèbre l’histoire du Ramayana, un texte fondateur de l’hindouisme et dont les chants et mouvements font fuir les mauvais esprits, la participation au rituel satvira, à un rituel dédié à Ganesh, la méditation vipassana, la visite du village animiste de Tenganam où l’on fabrique un tissu qui protège, guérit et exorcise. Au temple de Besakih, le grand prêtre écrit un mantra secret et invisible sur le troisième œil et la langue des voyageurs. Au temple de Pura Panateran, ceux-ci recevaient une eau bénite avec laquelle ils béniront leurs maisons à leur retour.

Une forme de sectarisme

L’image que donnent les sectes est habituellement caractérisée par la forte adhésion de l’individu à une structure institutionnelle solide. La nébuleuse mystique-ésotérique tend à s’éloigner de ce modèle pour diverses raisons : - Comme nous venons de le signaler, les structures institutionnelles ne semblent pas très élaborées - L’adepte de la nébuleuse n’est pas tenu d’appartenir en permanence à une organisation unique ni d’adhérer à un système de croyances dans sa globalité. Souvent au contraire il pratique un nomadisme spirituel qui l’amène à fréquenter plus ou moins longtemps plusieurs maîtres, à en recevoir des enseignements divers, à se composer son propre corpus de croyances et à multiplier les pratiques. La personne peut ainsi moins dépendre d’un maître unique mais des exceptions sont possibles. Pourtant d’autres aspects permettent d’utiliser le mot « sectarisme » à propos de la nébuleuse : Qu’est-ce qu’une secte ? On donne de ce mot de nombreuses définitions qui sont le plus souvent empreintes de partialité, et l’on tend à confondre la définition proprement dite et les effets de l’appartenance à la secte. Il convient pour en donner une définition scientifique de s’appuyer sur la sociologie : à la différence d’autres types de fonctionnement, la secte peut être définie comme un ensemble de personnes qui partagent des conceptions communes dont la principale est l’hostilité au milieu humain dans lequel on vit sous tous ses aspects : religieux, culturel, politique et social. Le membre d’une secte considère qu’il vit dans un monde mauvais. La nébuleuse présente le monde comme mauvais : elle enseigne que nous vivons dans un monde de souffrance et de déchéance : l’âge du Kali Yuga. Elle incite l’adepte à participer à la préparation d’un nouvel âge d’or, l’âge du Verseau. Il s’agit bien d’une condamnation globale de la civilisation actuelle. Ce peut-être une nébuleuse sectaire (plutôt que « secte ») révolutionnaire en ce sens que l’individu est invité à participer à sa fin. Mais évidemment la révolution proposée se fait dans la douceur, par la transformation des consciences et de toutes façons la transition d’un âge à l’autre se fera quels que soient les implications des adeptes parce que le passage d’un âge à l’autre est inéluctable : les cycles se dérouleront quoiqu’il arrive. La Grande Invocation d’Alice A. Bailey, ce n’est pas la voiture piégée d’al-Qaïda. La civilisation occidentale est fortement caractérisée par le christianisme. La nébuleuse lui oppose un néo-paganisme dans lequel Dieu est une énergie et dans lequel Jésus et Marie ne sont que des maîtres ascensionnés parmi d’autres. La Terre-Mère est bien plus importante que Marie. Au christianisme, la nébuleuse préfère un large syncrétisme dans lequel les innovations se multiplient. La civilisation occidentale se caractérise par la citoyenneté, mais la littérature de la nébuleuse n’incite nullement à participer à l’activité politique ou syndicale. Elle privilégie l’individualisme, la spiritualisation de l’adepte dont le militantisme se limite à des méditations collectives ou la récitation de la Grande Invocation pour contribuer à l’évolution spirituelle de l’humanité. Pas de patriotisme dans la littérature, mais la notion de « conscience planétaire ». La civilisation occidentale s’est transformée grâce à de rapides progrès scientifiques et techniques. Tout en les utilisant, notamment abondamment Internet pour sa communication, la nébuleuse tend à en déprécier les effets. Elle oppose à la médecine des pratiques holistiques et des modes de vie souvent non reconnus et parfois dangereux. Beaucoup de maîtres incitent, ne serait-ce que temporairement, à quitter la ville pour la ruralité. En dépit des efforts des militants, des syndicats et des politiciens, la société occidentale est encore très masculine. C’est particulier le cas du clergé catholique. La nébuleuse donne au contraire à la femme un statut privilégié. En bref, de nombreux aspects de la civilisation occidentale sont rejetés par la nébuleuse mystique-ésotérique, qui leur oppose sa vision idéalisée des cultures de l’Inde, du Tibet ou des Amérindiens. Son essor est un effet de la crise morale d’Occidentaux déçus parce que la science et la technique n’ont finalement pas apporté le bonheur, qui désertent les églises où l’on promet le Paradis après la mort alors que le bien-être immédiat est jugé préférable, et qui ont estimé que l’utopie marxiste n’avait pas su être préférable au capitalisme libéral. 10 Pour conclure La présentation que j’ai donnée de la nébuleuse mystique-ésotérique ne saurait être considérée comme complète et achevée. Ce mouvement tend à se diversifier infiniment et une description aujourd’hui sera caduque demain. Elle sera donc encore pour longtemps objet de recherche. Principaux axes à approfondir : Les maîtres : ils sont nombreux, travaillent isolément ou en duo, ou encore en équipe. Qui sont-ils réellement ? Certains se donnent des noms d’emprunt sans toujours qu’on connaisse leur véritable état-civil. Tous se présentent comme des personnages exceptionnels : ils cumulent les initiations ; certains se présentent comme les porte-parole des maîtres ascensionnés, voire du Christ avec lesquels ils se disent en contact direct. Où est la vérité ? Où est le fantasme ? Où est le mensonge ? Qu’un maître soit en relation avec un esprit qui le guide, c’est du domaine de la croyance. Quant aux cumuls d’initiations, ils ouvrent un large champ à la recherche. On voit bien l’existence de réseaux, mais il reste à construire clairement l’organigramme de ces réseaux et si possible les distinguer les uns des autres. Les nomades du spirituel La nébuleuse mystique-ésotérique intéresse des personnes disposées à fournir de gros efforts financiers et à consacrer du temps pour fréquenter les maîtres et les stages. Combien sont-ils ? Une estimation chiffrée n’est guère possible. Les maîtres communiquent bien plus sur leurs programmes que sur la fréquentation de leurs formations. Une même personne peut être comptabilisée plusieurs fois en participant à plusieurs stages chez plusieurs maîtres. Quelles sont leurs motivations ? Le goût du savoir, de recevoir progressivement des enseignements secrets ; c’est la démarche du gnostique qui va chercher à apprendre partout où c’est possible. Mais surtout, c’est probablement l’expérimentation de pratiques présentées comme dispensatrices de bien-être, de santé, de transformation de l’être de chair et d’os en élément de la divinité. Pourquoi le nomadisme ? Pour savoir et expérimenter toujours plus ? Ou parce qu’on a été déçu par un stage et qu’on essaie ailleurs ? Les enseignements Les programmes diffusés sur Internet donnent des indications sur les croyances proposées, ce qui a permis d’en esquisser une synthèse, mais une synthèse artificielle en raison de la grande diversité des systèmes enseignés. On n’en sait pas autant qu’on pourrait le croire, parce que les enseignements sont dispensés lors de stages auxquels il faudrait avoir participé pour bien les connaître. Il faudrait aussi dépouiller le contenu de centaines de livres et d’articles dans les revues et sur Internet. Les enseignements se réfèrent souvent à la tradition primordiale dont dérivent les religions qui en conservent le souvenir en les déformant. Pour l’historien, cette tradition relève du mythe tout comme la conception cyclique de l’histoire dans laquelle on inclut de supposées grandes civilisations comme celles de la Lémurie et de l’Atlantide. La référence aux religions du passé est peut-être plus concrète, mais les enseignements des maîtres présentent-ils les vieilles croyances telles qu’elles ont existé ? Des revues néo-païennes font état d’une certaine érudition mais souvent les néo paganismes sont loin des paganismes antiques. Quant aux esséniens authentiques nourris à la lecture des manuscrits de la Mer Morte, ils seraient bien étonnés de ce qu’enseigne en leur nom Olivier Manitara. Pour l’historien, il existe un immense travail de collecte d’informations et de mise en relation des systèmes de l’un et de l’autre maîtres pour établir des arbres généalogiques des systèmes de pensée. Les pratiques Les mêmes incertitudes et pistes de recherche concernent les pratiques et techniques qu’on applique dans les stages. 11 Plus on étudie des cas, plus s’allonge la liste des expériences proposées. S’y ajoutent les thérapies alternatives. On lit des mots aux significations obscures ou ambigües ; sous les termes « yoga » et « méditation » on désigne bien des réalités différentes. Se pose la question de la dangerosité des pratiques. Interpréter la carte du ciel par l’astrologie, prédire l’avenir au moyen des tarots de Marseille peut paraître anodin si le client ne tombe pas sous l’emprise de celui qui lui fait des révélations au détriment de son compte en banque. Plus préoccupante est la tendance à la dépréciation de la médecine au profit de thérapies alternatives et de conseils sur les façons d’atteindre le bien-être et la transformation fondamentale de la nature humaine. Les stages dont le thème est la sexualité invitent à se libérer des inhibitions ; en reste–on toujours à la théorie ? Les pratiques parapsychologiques influent-elles sur la santé mentale des pratiquants ? Quels sont les effets sur la vie familiale de celui auquel un parapsychologue a révélé que son mal-être provient de sévices sexuels qu’un parent lui aurait fait subir dans sa petite enfance? Nous avons vu ci-dessus que dans certaines circonstances des pratiquants sont morts : mort de Chantal Lavigne dans une hutte de sudation : accidentelle peut-être ? Mais mourir d’avoir refusé de s’alimenter totalement pour adopter le mode de vie pranique, ce n’est pas accidentel. C’est la mise en application d’un système de pensée.

Bernard Blandre