Laurent Dispot - Libération - vendredi 25 avril 2008En juillet 1938, un SS champion d’alpinisme est vainqueur de la face nord de l’Eiger, en Suisse : une « première ». Il s’appelle Heinrich Harrer. Le récit de son exploit, et sa photo avec Hitler, sont aussitôt diffusés massivement en Europe et dans le monde par la machine de propagande de Goebbels.
Harrer s’est inscrit à la SA en 1933, à la prise de pouvoir par Hitler. Passé à la SS, il est un favori du Reichsführer Heinrich Himmler.
Quelques mois après, autre « première » : ses camarades SS et lui-même sont vainqueurs des synagogues brûlées et des familles juives terrorisées, sur tout le territoire de l’Allemagne, lors de ce qu’ils nomment par dérision « la nuit de Cristal », le 9 novembre 1938.
Pendant que les Juifs passent à la nuit et au brouillard, Harrer est investi d’une mission par Hitler et Himmler en personnes : s’infiltrer au Tibet, en accord avec les ministres régents du dalaï-lama enfant, pour devenir précepteur de celui-ci. En pleine guerre d’agression contre la Chine japonaise, il s’agit de conquérir Lhassa comme nœud stratégique sur l’axe Berlin-Tokyo...
Heinrich Harrer a accompli sa mission de confiance hitlérienne..
Son rapport de mission, Sept ans au Tibet, était bourré de mensonges grossiers et de fascination pour le « Führerprinzip » impitoyable du théocratisme lamaïque. Il a été transformé en film de propagande mondiale, en 1997, par le cinéaste français Jean-Jacques Annaud. Sept ans au Tibet, produit à Hollywood n’était qu’un « Bienvenue au nazi chez les Tibétains » avec dans le rôle du « gentil SS » un Brad Pitt aux cheveux très blonds, aux yeux très bleus, assorti de tout plein de beaux drapeaux à croix gammée.
A la mort de Harrer en 2006, et encore ces jours-ci, le Dalaï-Lama a diffusé de ce SS une apologie sans réserves : c’est-à-dire sans les mots « nuit de Cristal », « Himmler », « Hitler », « Juifs »..
Le dalaï-lama met, depuis soixante ans son point d’honneur à ne pas parler de la mission au Tibet confiée en 1938 à son précepteur (Harrer) par Hitler et Himmler, ni des motifs mystiques, racistes et stratégiques de cette mission...
Au lieu de cela, il traite la destruction des Juifs d’Europe de rétribution, forcément juste, de fautes antérieures : il jette la Shoah à la poubelle du « karma ». Et il ne cesse de ressasser son remerciement à un SS d’avoir été son « initiateur à l’Occident et la modernité » .
En acceptant ce discours (du Dalaï-Lama), des Occidentaux et des modernes se font citoyens du déshonneur.
Georges André Morin, France Culture 10 septembre 2006.
Patrice Sifflet : A l’antenne, le groupe Marianne de la Libre Pensée.
Cher Georges André Morin, lors de notre émission de juin dernier consacrée au Da Vinci Code, vous avez signalé, de manière incidente, que l’actuel Dalaï Lama avait été formé par un ancien Waffen SS autrichien. Pouvez vous préciser ?
Georges André Morin : cette affaire est bien connue et depuis longtemps. Le film « Sept ans au Tibet » réalisé par J- J Annaud en 1997, avait bien involontairement ravivé les mémoires au grand dam des idolâtres occidentaux de sa Sainteté le 14 ème Dalaï Lama, Tenzin Gyatso à l’état civil, si j’ose dire. Quelques rappels factuels peuvent être tirées du best seller publié en 1952 et qui sert de trame au film, le livre de Heinrich Harrer, « Sept ans d’aventure au Tibet »...
P.S : la question que l’on se pose, c’est Harrer était–il ou non nazi ?
G- A M : ..
Harrer est devenu célèbre peu après l’Anschluss, annexion de l’Autriche par le Troisième Reich en mars 1938, pour avoir réussi l’ascension de la première face nord du mont Eiger le 24 juillet 1938. Il fut personnellement félicité par Hitler : « les enfants vous avez fait du bon travail ».
Harrer devint une des vedettes du régime (nazi). Il est tout naturellement incorporé dans ses troupes d’élite, les Waffen SS. Mais son livre est écrit avec prudence ; c’est très bien « fait »...
Alors que bien après la fin de la guerre, il relève avec satisfaction que les Tibétains ignorant complexes et préjugés contemplant les événements mondiaux avec le détachement du sage. Ni allusion, ni regret quant aux atrocités allemandes. On pourrait résumer : un sage « détachement ».
A le lire, Harrer n’a bien sûr aucune compétence en matière religieuse. Il est censé apporter au Dalaï Lama un aperçu sur le monde extérieur et les technologies modernes..
Mais les allusions géopolitiques sont quand même présentes. Le Tibet, écrit-il est un état « indépendant ». Sa superficie est trois fois celle de la France, trois fois le Reich. C’est le pays le plus haut du monde ; et son jeune élève est fier d’être le chef du pays le plus haut du monde.
Surtout, Harrer dit clairement à la fin que sa position est anticommuniste. Par ailleurs à la page 71 (de l’édition dont je dispose), il écrit : « la domination qu’exercent les moines du Tibet est absolue. C’est l’exemple type de la dictature cléricale ». Dont acte ! Mais sous sa plume ce constat n’est pas une critique…
P.S : au fait, la présence de Harrer est elle fortuite ?
G-A M : sa présence durant l’été 39 est tout sauf fortuite. C’est là où le bât blesse. L’expédition de Harrer fait suite à une expédition très officielle dirigée par un certain E.Schäfer, nommé en 1936 SS-Untersturmführer (sous lieutenant) de l’état major de Himmler, expédition organisée personnellement par Himmler dans le cadre de l’Ahnenerbe SS (« Héritage des ancêtres »), organisme créé au sein de la Waffen SS et dont la mission était de rechercher les origines de la race aryenne.
Un des membres de cette expédition était un ethnologue du nom de Beger qui s’illustrera à Auschwitz par de prétendues recherches scientifiques pour y mesurer des milliers de squelettes en vue de la création d’un musée de la race aryenne. Ce point est rappelé dans un article du journal le Monde du 5 août dernier dans un article intitulé « Shangri La ou le Tibet des fantasmes ». Je constate avec satisfaction que le politiquement correct finit par reconnaître un certain nombre de choses …
A la fin du XIXème siècle, les théoriciens racistes ou racialistes étaient Gobineau ou Vacher de Lapouge. Derrière cela existaient des sociétés secrètes dont la plus connue est la Société de Thulé, fantasmant sur des aryens purs aux confins du Tibet ou de l’Afghanistan, issus d’un royaume mystérieux, enterré et ayant survécu aux précédentes glaciations...
Outre le mythe de la race aryenne, cette région provoquait des fantasmes géostratégiques au même titre que le Caucase. Tandis qu’Hitler s’enferrait à Stalingrad, des alpinistes allemands eurent pour but de planter le drapeau nazi sur le mont Elbrouz qui n’est lui qu’à 5633 mètres. Dans « Mein Kampf », s’agissant des liens entre les origines aryennes et le nazisme, Hitler décrit la conception du drapeau nazi : « moi même, après d’innombrables essais, je m’arrêtais à une forme définitive : un rond blanc sur fond rouge et une croix gammée noire en son milieu. Les couleurs uniques témoignent de notre respect pour le passé. » Je précise : noir, blanc, rouge du drapeau impérial allemand. Dans le rouge nous voyons l’idée sociale du mouvement, dans le blanc l’idée nationaliste, dans la croix gammée (svastika), la mission de lutte pour le triomphe de l’aryen.
La croix gammée (svastika) est omniprésente dans les monastères tibétains. Je me souviens avoir eu la surprise en visitant un monastère tibétain, celui de Sanyé, en 1994,de me trouver environné de croix gammées. C’est un symbole solaire de la religion traditionnelle tibétaine, celle qui a précédé, lequel est le bouddhisme relativement récent dans l’histoire du Tibet.
Pour les liens entre la société de Thulé et les nazis soyons précis ; elle a inspiré en janvier 1919 la création du Parti national ouvrier allemand par Drexler et K.Harrer, homonyme de l’alpiniste lequel a été transformé en février 1920 en Parti National Socialiste ! Au sein dudit Parti nazi, Himmler s’est mis à rechercher de ces fantasmagories ; Hitler, affectant de se tenir en retrait.
Ce qui est sûr c’est que le XIIIème Dalaï Lama, Thubten Gyaso, a en personne procédé à la traduction de « Mein Kampf » en tibétain, dont un exemplaire lui était parvenu. Un ouvrage récent consacré aux théocrates du Tibet, en leur étant globalement favorable, décrit le XIIIème Dalaï Lama : « Thubten Gyaso avait été conduit dans la double voie de l’autoritarisme et du pessimisme. Il n’avait pas confiance en ses ministres ni en ses proches collaborateurs. Chacun avait peur du Dalaï Lama ».
Détail anecdotique pour un tibétain, il portait au début de sa vie, vers la Première guerre mondiale, des moustaches en crocs à la Guillaume II et à la fin de sa vie une calvitie distinguée et un petite moustache le faisant ressembler à un maréchal français en retraite à la réputation sinistre.
P.S : aujourd’hui le Dalaï Lama est présenté comme une victime du gouvernement chinois, exilé et persécuté. Il est partout à la télévision, fait de meetings, les médias tentent de l’aider. Tout le monde pleure. N’y a –t-il pas une contradiction avec ce que vous venez de dire ?
G-A M : historiquement, la notion de Tibet indépendant n’a aucun sens. Le Tibet fait partie du monde chinois, depuis le XIIIème siècle, voire plus.
Au début du XX ème siècle, les empires russes et britannique lorgnent sur ce territoire. Les Britanniques tentent une occupation du pays à partir de 1904. Ce qui conduit le XIII ème Dalaï Lama à se réfugier en Chine et à obtenir finalement, grande habileté de l’empire chinois finissant, la reconnaissance internationale de la souveraineté de la Chine sur le Tibet.
C’est à ce moment que le XIII ème, retenu à Lhassa, a exprimé ses premières velléités d’indépendance. A la fin des années 20, deux séries de timbres tibétains furent tout simplement des timbres de l’empire des Indes dans une première version surchargée et ensuite modifiée.
L’idée d’un Tibet indépendant dans les années 30 est symétrique de la constitution de l’état croupion du Mandchoukouo par les japonais pour justifier leur occupation de la Mandchourie. Il y a un facteur commun, c’est le petit nombre de pays – les Etats fascistes et le Vatican ainsi que le Salvador – qui alors ont une représentation diplomatique à Moukden, en Mandchourie ; le Salvador étant le pays qui a déposé aux Nations Unies plusieurs motions pour la reconnaissance d’un Tibet indépendant, lequel n’a jamais existé.
Il est stupéfiant de remarquer que le Dalaï Lama actuel, en 1994, a voulu réunir à Londres des personnalités occidentales ayant connu un Tibet indépendant. Sur les sept personnalités, il y avait les deux Waffen SS, Harrer l’alpiniste et Beger l’ethnologue d’ Auschwitz et un diplomate chilien du nom de Miguel Sorano qui a fait carrière dans le sillage de Kurt Waldheim, en étant proche de Pinochet et des communautés nazies du sud du Chili.
P.S : avec Pinochet, on trouve le pape Jean Paul II, comme c’est curieux…
G-A M : un facteur commun à toutes ces approches religieuses, c’est la verticalité du pouvoir. C’est le cas du Dalaï Lama qui représente un bouddhisme très minoritaire, venu au Tibet sur la Mongolie mâtiné de chamanisme sibérien et préexistant au bouddhisme des cultes solaires adeptes de la croix gammée (svastika).