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Messes noires, sacrifices et "magie sexuelle". La Ville éternelle, capitale de Satan... Qui l’eût cru? Et pourtant. A l’ombre du Vatican se multiplient les sectes et les cultes dédiés au Malin. Pour le bonheur des exorcistes
Il y a ceux qui veulent se mettre au diapason avec le «hurlement de la Bête éternelle». Ceux qui veulent «jouir sans entraves». Ceux pour qui Satan est un «allègre compagnon» d’équipées nocturnes. La voilà, la masse des «satanistes» de Rome, qui font une consommation effrénée de messes noires, d’épées, de capuchons, de crucifix renversés, de tombes retournées, d’animaux égorgés, de hard rock, de bougies, d’orgies, de violences (sur les femmes surtout). Et de drogue. Ces troupes de choc du «satanisme acide» fréquentent 700 sites et 322 clubs on-line. La nuit tombée, ils se déversent dans le Trastevere ou sur le Campo dei Fiori. On les reconnaît à leur look de vampire: tee-shirts sombres ornés de l’étoile à cinq branches, ongles peints en noir, le cou cerclé d’ossements. A la lumière, ils préfèrent les ténèbres; au principe d’autorité, celui de désobéissance. Ils sont à la recherche d’une manifestation aussi effrayante que possible de leur anticonformisme. Belzébuth est là pour les satisfaire. «Un jeune Romain sur deux est effleuré par le discours sur l’occulte», soutient le Gris, une émanation de la Conférence épiscopale italienne qui surveille les sectes depuis quinze ans. «Un sur cinq a vendu son âme au diable», précise padre Gabriele Amorth, 80 ans, exorciste officiel du diocèse de Rome Adeptes du bricolage spirituel, ces jeunes satanistes ne forment le plus souvent que des groupes occasionnels de cinq ou six membres, dont les rituels approximatifs servent en fait de toile de fond à leur consommation de drogue. Raffaella Di Marzio, professeur d’histoire des religions, a ainsi découvert que plusieurs de ses élèves brûlaient des images pieuses autour d’un feu de bois dans un asile psychiatrique désaffecté, tuaient des chats et buvaient leur sang, juste avant de se faire une injection d’héroïne. «Ils mimaient le satanisme véritable», explique cette spécialiste, selon laquelle le phénomène toucherait à Rome près de 5 000 adolescents.
Rien à voir avec les vrais adversaires de l’Eglise, ceux qui n’ont pour seul dieu que Satan. Organisés en sectes, ces professionnels de la subversion anticatholique, souvent issus de milieux bourgeois, ont été stimulés par l’activisme de Jean-Paul II, le pape qui a soutenu que le démon existait en chair et en os, et qui a pratiqué personnellement un certain nombre d’exorcismes. Si les diables prospèrent dans la Ville éternelle, c’est donc à l’ombre de Saint-Pierre. «Rome est au centre d’intérêts magiques si importants qu’elle mérite le titre de capitale du spiritisme», confirme Massimo Introvigne, le plus grand expert en sectes.
(Note d'Info-Sectes: le plus grand d'après quel jury et quels critères? Nous ne partageons pas ce point de vue du Nouvel Obs sur Massimo Introvigne du CESNUR, ce défenseur des sectes étrange et ambigu et sa "Transylvanian Society of Dracula", même si ce qu'il dit ici est exact)
Les adeptes du Malin vont même jusqu’à calquer leur agenda sur le calendrier catholique. Béatifications, fête de l’Assomption, anniversaire du pape… chaque échéance religieuse importante pour la chrétienté leur donne l’occasion de réagir. Lors du Jubilé 2000, la police avait ainsi mis au jour à Santa Maria di Galeria plusieurs grottes soigneusement équipées pour ce type de célébrations, avec statues de Lucifer en plâtre, inscriptions murales à la gloire du Malin, cuvettes remplies de sang coagulé, croix renversées et brisées… Dans l’appartement d’un avocat du quartier du Colisée, à la même époque, les carabiniers ont trouvé des ampoules remplies de liquides non identifiables, des symboles ésotériques, des crucifix la tête en bas, des statues faites d’ossements, des christs à la langue fourchue: des dizaines de membres des professions libérales y faisaient leurs sabbats. Nom du groupe: la Secte du Latran. Adhérents: une centaine. Les plus sanguinaires de la capitale. Selon la psychologue Silvana Radoani, ces derniers pratiqueraient encore des sacrifices sur des fœtus et même sur des nouveau-nés. Mais ces supputations n’ont jamais été corroborées par la police.
Pour les spécialistes, trois autres sectes «professionnelles» se partagent les faveurs des Romains. La première est l’Ordo Templi Orientis, dit OTO, dont les adeptes étudient la cabale, prônent la «magie sexuelle» comme thérapie et n’ont qu’une seule devise: «Fais ce que tu veux, ce sera ta loi.» Leurs appartements, via Tomba di Nerone ou via Trionfale, sont couverts de miroirs qui «reflètent l’énergie développée pendant les rituels», où se mêlent sexe, astrologie, ésotérisme et autres préparations de philtres, à base de sécrétions d’hommes et de femmes. Les adeptes y atteignent le «huitième degré du plaisir» grâce à la «masturbation magique». Quant au neuvième, Massimo Introvigne le résume en ces termes: «Après s’être préparé par le jeûne, l’adepte d’OTO célèbre le sacrifice de l’eucharistie, qui implique un coït qui dure au moins une heure.»
Autre chapelle satanique renommée: l’Eglise noire luciférienne. Très active jusqu’à la mort de son fondateur Efrem del Gatto en 1998, cette dernière semble toutefois s’être mise en sommeil depuis. Comme Jean-Paul II, Efrem prétendait avoir rencontré le Malin en chair et en os: «Pas de cornes, pas de soufre, pas de queue fourchue, disait-il. Le diable est un bel homme.» Il officiait viale Marconi et dans un garage de Pomezia, décoré de «masques africains, de fétiches et de reproductions du diable», raconte l’anthropologue Cecilia Gatto Trocchi, qui précise que «le chef s’y accouplait avec une chevrette sur un fond de musique pseudo-religieuse».
Dernier avatar du satanisme made in Roma: le groupe placé sous l’égide d’un certain Ieronimus, qui organisait des initiations, des pactes avec le diable et autres messes noires avant d’être trahi par deux «repenties». La première a raconté à la police: «J’ai été couverte de myrte et d’encens. Le grand prêtre a lu des oraisons à la gloire de Lucifer, a égorgé un pigeon, puis il a versé son sang dans une coupe, y a trempé ses lèvres et nous a ordonné à tous de faire de même. Après s’être couché sur une fille, il a dit: "Venez, embrassons-nous." Les lumières se sont éteintes. J’ai entendu des voix, des soupirs, des gémissements. Je me suis enfuie.» L’autre repentie: «J’étais enfermée dans une pièce, couverte de sang de pigeon et j’ai eu des rapports sexuels avec douze hommes. Contre nature évidemment, comme l’impose le rituel satanique. Le lendemain j’ai pris le large.»
Prendre le large: ce n’est pas toujours facile. Car l’omerta des sectes est aussi forte que celle en vigueur chez Cosa Nostra. Et les pratiques des satanistes rappellent souvent les méthodes de la Mafia: menaces, violences… Sous le soleil de Satan, le rapport avec l’argent est lui aussi bien réel. «Je me souviens d’une secte de Tivoli, raconte le commissaire romain Antonio Del Greco. Un soi-disant "prêtre noir" conseillait aux jeunes femmes qu’il réussissait à enrôler de déposer des liasses de billets tachés d’une goutte de sang sous leur matelas et de faire un vœu. Si les liasses disparaissaient, c’est que le diable avait l’intention d’exaucer leurs désirs»…
Reste que le lien particulier qui unit les satanistes à l’Eglise laisse certains enquêteurs songeurs. Comme Marco Strano, un policier spécialisé dans les crimes informatiques et les sectes on-line, qui relève que si les adorateurs du Malin ne peuvent pas se passer de l’Eglise, elle aussi semble avoir besoin du démon. Pourquoi le Vatican exalte-t-il à ce point l’importance du diable? «S’il était plus modéré, s’il mettait la sourdine, le fameux antagonisme entre le Bien et le Mal, qui attire tant de fidèles, s’écroulerait d’un coup», répond Strano. A moins que cette mise en avant du Mal n’obéisse à des impératifs beaucoup plus matériels que spirituels. Les tarifs pratiqués par les prêtres pour les exorcismes sont en effet prohibitifs: entre 6 000 et 30 000 euros...
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